Intervention de clowns auprès d'enfants hospitalisés dans un service d'oncologie pédiatrique (2024)

1Par cet article, nous venons témoigner d’une aventure. La nôtre, lorsque nous sommes présents, en clowns, auprès des enfants soignés dans le département d’oncologie pédiatrique de l’Institut Curie.

2Les enfants suivis dans ce service ont entre 1 mois et 18ans. Ils sont soignés pour un cancer.

3Dans le service, les enfants sont suivis en consultation, en hôpital de jour et en hospitalisation pour des cures de chimiothérapie. Ils peuvent également être hospitalisés pour des examens au début de leur maladie, pour une fièvre survenant après une cure de chimiothérapie, ou pour des soins de confort en phase palliative de leur maladie.

4Les clowns interviennent et jouent pour et avec les enfants, mais aussi pour et avec leurs familles et le personnel soignant (médecins, infirmières et auxiliaires de puériculture, éducatrice, institutrice, kinésithérapeutes, secrétaires, agents hospitaliers).

5Les clowns, une fois par semaine, au cours de l’après-midi qu’ils passent dans le service, rencontrent une vingtaine d’enfants, à la consultation, à hôpital de jour, en hospitalisation, et aussi en chambre protégée lorsque les enfants sont en aplasie après un traitement intensif.

6L’introduction de clowns dans les services hospitaliers, et plus particulièrement les services d’oncologie pédiatrique, date d’une dizaine d’années. C’est le Rire Médecin qui a initialisé cette pratique en France.

7Nous sommes quatre acteurs-clowns, membres de l’association Le Regard du Clown, à intervenir à l’Institut Curie, dans le service d’oncologie pédiatrique. Nous avons fait le choix de n’intervenir que dans le service d’oncologie pédiatrique de l’Institut Curie et dans aucun autre service hospitalier.

8Jacques Ronayette est clown, formateur, metteur en scène et professeur, Caroline Kohler est clown, psychologue clinicienne et formatrice. Les deux autres acteurs-clowns, Valérie Sabouraud et Marilou Robillard, sont intermittentes du spectacle, clowns et comédiennes.

9Le Regard du Clown a été créé par Jacques Ronayette et Caroline Kohler [1].

10Depuis 1999, les mardis après-midi, nous sommes présents dans le service. Nous intervenons toujours en binômes, jamais seuls.

11Lorsque le service de pédiatrie, par l’intermédiaire du chef de service et de l’éducatrice, nous contacte en 1999 pour nous proposer de remplacer les clowns du Rire Médecin nous n’étions, jusqu’alors, jamais intervenus comme acteurs-clowns dans un service hospitalier.

12Après avoir pris le temps d’analyser la demande qui nous était faite, nous avons accepté de nous lancer dans cette aventure. Non sans appréhension et inquiétude.

13Pour garantir l’existence, la pérennité de nos interventions, afin que celles-ci puissent avoir du sens, et qu’elles puissent s’inscrire et s’intégrer dans le fonctionnement du service nous avons mis en place, en concertation avec les médecins, la surveillante et l’éducatrice, un dispositif afin de poser clairement le cadre de nos interventions.

14Une première réunion a eu lieu. À cette réunion assistait une grande partie du personnel. Lors de cette réunion, les soignants ont exprimé leurs attentes à notre égard. Celles-ci étaient grandes. Depuis que le Rire Médecin avait quitté le service, deux ans auparavant, la présence des clowns manquait fortement, disaient-ils. À eux, comme aux enfants et aux familles. Nous nous sommes présentés au groupe. Nous n’avons caché ni notre inexpérience, ni notre motivation à vivre cette aventure.

15Dans le dispositif que nous avons mis en place, deux temps de régulation par an sont programmés. À ces temps de travail, participent le chef de service, le chef de clinique, les assistants, les surveillantes, la psychologue, l’éducatrice, l’institutrice, les responsables des activités diverses proposées aux enfants (musique, arts plastiques…) et tous les soignants qui le souhaitent, à l’exception des «temporaires», internes ou stagiaires.

16C’est lors de ces temps de régulation que nous revenons sur certains moments que nous avons partagés avec les enfants, avec leurs familles ou avec les soignants. Soit parce que ces moments ont été particulièrement douloureux, soit parce qu’il nous a semblé que nous avions été particulièrement démunis, soit aussi parce qu’il nous a été confié des paroles qui nous semblaient ne pas devoir nous être adressées. Nous abordons aussi, bien évidemment, les moments dans lesquels nous nous sommes sentis à une place juste, des moments où notre présence avait du sens.

17C’est lors de ces temps de travail que peuvent être élaborées de nouvelles règles de fonctionnement entre nous.

18C’est aussi pendant ces temps de travail que le personnel nous renvoie la façon dont il nous perçoit. C’est l’institutrice que l’on a trop dérangée un jour qu’elle faisait classe, ce sont les infirmières qui nous demandent de les «bousculer» un peu plus, ce sont les médecins qui nous demandent d’être moins discrets et de mieux faire savoir que l’on est là, etc.

19La première année, nous avons demandé qu’un de ces temps de régulation soit mis en place très tôt, trois mois après le début de notre activité dans le service. Nous avons aussi souhaité qu’un autre ait lieu à la fin de l’exercice de cette première année. Il nous était nécessaire de pouvoir faire le point, tant de notre place que de la place des soignants, sur la façon dont les uns et les autres nous vivions notre présence dans le service. Nous souhaitions pouvoir nous «retirer» si nous ne nous sentions pas à la hauteur de la tâche, ou si ce à quoi nous étions confrontés était trop lourd à supporter. De leur côté, les soignants se réservaient le droit de nous demander de quitter le service si nous ne correspondions pas à ce qu’ils attendaient de nous.

20La première année fut une année «à l’essai» en quelque sorte. Elle se solda par un engagement contractuel, renouvelé sans cesse depuis. Engagement qui depuis perdure, puisque voilà maintenant huit ans que régulièrement nous venons les mardis après-midi à l’Institut Curie…

21Ces temps de régulation permettent que nos interventions s’articulent avec le travail des soignants, de l’encadrement infirmier et médical auprès des enfants et des familles et qu’elles puissent s’inscrire dans l’ensemble de la vie du service.

22C’est pendant ces temps de travail institutionnalisés que les «feedbacks» des soignants à notre égard et de nous vis-à-vis des soignants peuvent se dire. On s’informe, on questionne, on traite les problèmes s’il y en a eu, on parle de nos difficultés, on reprécise le cadre, on pose de nouvelles règles de fonctionnement. On reprécise le rôle et les fonctions des uns et des autres.

23Nous, les acteurs-clowns, accompagnons l’enfant dans l’épreuve de sa maladie. Nous ne sommes en aucune manière ni des soignants ni des thérapeutes.

24Il a toujours été pour nous, comme pour le service, exclu d’intervenir sur le mode du bénévolat. Nous considérons notre présence en clowns dans le service comme un travail à part entière, travail qui plus est difficile. Ce travail mérite salaire. Ce salaire vaut comme reconnaissance de notre travail.

25Qui paye? Chaque année nous signons une convention pour 35 interventions. Cette convention est tripartite. Elle est signée par la direction de l’Institut Curie, par L’apaesic (Association des parents et des enfants soignés à l’Institut Curie) et par le Regard du Clown. Les trente-cinq interventions annuelles sont payées pour partie par l’Institut Curie, pour partie par l’apaesic.

26Par ailleurs nous avons mis en place des temps de travail entre nous, les acteurs-clowns.

27Lors de ces temps de travail nous parlons de ce que nous vivons pendant nos interventions, que ce soit dans nos rapports avec les enfants et leurs familles, ou avec les soignants.

28Ces temps de travail sont aussi l’occasion pour nous d’analyser ce qui est à l’œuvre dans les binômes, ce qui touche les uns et pas les autres, ce qui a paru à certains être juste du point de vue du jeu du clown et pas à d’autres. Nous sommes quatre acteurs-clowns et toutes les combinaisons de duos sont possibles. Ce qui est souvent questionné, c’est la qualité de l’écoute entre nous, ou ce que nous ressentons comme un manque d’écoute. C’est sans doute parce que nous sommes confrontés à une grande souffrance que nous avons tant besoin de nous sentir «jouer ensemble». Comme si se sentir «abandonné» par son partenaire nous mettait alors dans un fonctionnement en miroir par rapport àl’enfant qui, souvent, supporte si mal d’être seul dans l’isolement de sa chambre.

29D’autres temps de travail d’acteur sont programmés entre nous. Ces temps sont plus spécifiquement des temps d’expérimentation du jeu du clown par le biais de l’improvisation. Pour cela nous faisons appel à un professionnel, extérieur à notre association. Ces temps de répétition nous permettent de développer une plus grande complicité et une plus grande écoute dans le jeu entre nous.

30Nous n’avons pas réussi à mettre en place un travail d’analyse régulier, animé par un professionnel, psychanalyste ou psychosociologue, pour le groupe des intervenants-clowns.

31Nous venons d’horizons divers. Parmi nous quatre, l’un est professeur et clown, deux sont comédiennes et intermittentes du spectacle, la dernière est psychologue clinicienne et clown. Les clowns issus du monde du théâtre ne ressentent pas la nécessité d’un travail régulier mené par un analyste pour nous aider à élaborer et à analyser nos représentations, nos processus d’identification, nos projections, nos vulnérabilités, nos résistances, nos relations, notre mode de travail, nos réactions, notre vécu et notre ressenti. Nous pourrions, aidés par un analyste, comprendre la part de nous que ce travail mobilise, met en jeu, réactive. Savoir nous protéger, trouver la bonne distance dans ce travail n’est pas une chose aisée. Pour ma part j’en ressens un grand besoin. Et un manque aussi. Dans les faits, chacun se débrouille comme il peut. Soit par un travail personnel, soit en en parlant avec son ou sa partenaire, soit en se taisant.

32Les difficultés que nous rencontrons tiennent au peu de distance que nous pouvons avoir en certaines circonstances. Les processus d’identification ne fonctionnent pas de la même façon pour les quatre acteurs-clowns, certains, parents de jeunes enfants, sont confrontés à des angoisses concernant leurs propres enfants. D’autres ont plus tendance à s’identifier aux parents, aux mères en particulier. Dans ces cas-là, la bonne distance est difficile à tenir. Il devient acrobatique de garder le personnage du clown et de ne pas se laisser envahir par ses affects au détriment du jeu. Le jeu fonctionne vraiment et notre intervention est «utile» lorsque nous «oublions» l’enfant malade pour jouer avec et pour un enfant.

33Lorsque nous arrivons, avant de nous habiller en clowns, l’éducatrice, ou une infirmière, nous fait la transmission. Le service d’oncologie pédiatrique est un service de cure. La durée d’hospitalisation est courte: 5 jours pour une cure. Les cures ont lieu toutes les trois semaines en moyenne. Nous ne savons jamais à l’avance quels enfants nous allons retrouver. Il arrive, néanmoins, fréquemment, que des enfants soient hospitalisés plus longtemps, soit que leur état interdise leur retour à la maison, soit qu’ils n’aient pas de lieu où habiter – certains enfants viennent à Curie de très loin (Afrique, Polynésie, Antilles, etc.) –, ou qu’ils soient en fin de vie.

34Pendant la transmission, nous recevons des informations sur les enfants présents: âge, état, fatigue, douleur, état psychique, disponibilité vis-à-vis du personnel, attente par rapport aux clowns, présence ou absence de la famille, état psychique de la famille. On nous signale les nouveaux patients, ceux qui sont en début de cure ou qui, au contraire, entament leur dernière cure.

35C’est au cours de la transmission que nous sont annoncées les «tristes nouvelles», un enfant en soins palliatifs, un décès. Enfin, lors de la transmission, on nous informe de l’état du moral du personnel soignant Nous ne recevons aucune information sur les enfants présents en consultation et à l’hôpital de jour.

36Le temps de la transmission est un moment où se tissent et se renforcent les liens avec le personnel. Ce temps pose le cadre de notre intervention pendant l’après-midi. Dans le jeu nous nous appuyons sur les informations que nous recevons pendant la transmission. Il est par exemple important de savoir que tel enfant et sa famille ne possèdent pas la langue française et qu’il faudra alors privilégier la musique ou le jeu visuel, que tel autre a perdu l’usage de la vue, et qu’avec lui aussi, il faudra privilégier le jeu sonore. Il est important d’apprendre que telle mère est très anxieuse et surprotectrice, que l’accès à son enfant est difficile, qu’il faudra être très à l’écoute de cette mère pour pouvoir réussir à jouer avec son enfant.

37On apprend aussi que tel autre est très isolé de sa famille qui n’a pu l’accompagner et est restée au bout du monde. On sait ainsi qu’il serait bien de passer un long moment avec lui.

38Toutes ces informations vont nous permettre d’entrer en contact avec l’enfant et d’établir, avec l’aide de l’éducatrice, qui les connaît bien, des priorités. Nous saurons aussi que tel enfant est en fin de vie et qu’avant d’entrer dans sa chambre il est préférable de demander à l’infirmière si c’est pertinent.

39Si ce temps de transmission n’existait pas nous risquerions de n’être que des «amuseurs», allant de chambre en chambre, sans tenir compte de la personnalité de l’enfant à qui nous rendons visite, de son histoire, de son état. Nous ne venons pas dans le service pour jouer avec «des» enfants. Nous venons pour jouer avec chaque enfant, avec qui nous partageons un moment de sa journée à l’hôpital.

40L’intervention des acteurs-clowns se situe dans une dimension institutionnelle à l’intérieur de l’Institut Curie. Il n’est pas anodin que le service d’oncologie pédiatrique de Curie soit le premier service dans lequel le Rire Médecin soit intervenu en France. Le chef de service, le Dr Jean-Michel Zucker, fondateur du service, puis plus tard, le Dr Jean Michon, actuel chef de service, ont beaucoup aidé à la création du Rire Médecin.

41Un programme de jumelage a été mis en place conjointement par le ministère de la Culture et le ministère de la Santé. Il s’intitule «Culture à l’hôpital». Les objectifs de ce jumelage sont de favoriser l’entrée de la culture dans l’hôpital. L’introduction de clowns auprès d’enfants hospitalisés en favorisant la rencontre entre le milieu artistique et le milieu hospitalier facilite l’ouverture du monde clos qu’est l’hôpital.

42Le département d’oncologie pédiatrique, l’Institut Curie, le Regard du Clown, ont été, depuis cinq ans, retenus par la drac (Direction régionale de l’action culturelle) et l’arh (Agence régionale pour l’hospitalisation) pour faire partie de ce jumelage «Culture à l’hôpital». Ce jumelage s’inscrit dans une logique partenariale entre l’établissem*nt hospitalier – l’Institut Curie – et le Regard du Clown. La demande de participer à ce jumelage et de recevoir, à ce titre, des subventions de la part de la drac et de l’arh ne peut être retenue que s’il y a un réel engagement de la part du service et de la direction de l’Institut Curie. Les lettres de demande de subvention sont conjointement signées par le chef de service et le directeur de l’institut.

43Dans le cadre de ces interventions nous ne proposons pas aux enfants d’expérimenter le clown eux-mêmes. Les clowns, c’est nous. Nous ne proposons pas à l’enfant de se mettre en jeu par et au moyen de l’improvisation. Nous sommes les acteurs. Et tentons, grâce au personnage du clown, de soulager, un temps, les souffrances physiques et psychiques des enfants.

44Par notre présence, nous tentons de rendre, un temps, moins pénible la vie de l’enfant. Nous l’accompagnons au cours de sa maladie. En rencontrant en lui l’enfant en vie et non pas l’enfant malade, nous l’aidons un peu à vivre et à affronter sa maladie. La maladie, les soins, l’hospitalisation le mettent dans un certain mode de relation avec son entourage, non seulement avec les soignants mais aussi avec sa propre famille. Ce qui prime alors, c’est l’enfant malade que tout le monde, clowns compris, souhaitent voir guéri.

45Les clowns, par leurs interventions, portent sur l’enfant un autre regard que les soignants, ils s’adressent à l’enfant comme personne et non comme personne malade, statut dans lequel, bien souvent, l’enferment sa maladie et son hospitalisation.

46Il n’est pas rare que l’enfant douloureux, enfermé dans sa souffrance, accepte la venue des clowns dans sa chambre alors qu’il refuse toute autre présence.

47Chaque chambre devient une scène artistique et l’enfant devient spectateur ou acteur de l’événement qui lui est proposé.

48Nous improvisons. Nous ne préparons pas de numéros pour les enfants, même si chacun d’entre nous a ses petites spécialités: magie, jonglage, etc.

49L’orgue de Barbarie qui nous accompagne, par sa musique, signale notre présence de loin, avant même que nous ne soyons vus. La musique de l’orgue introduit dans le service un air de fête. Et c’est la rue qui pénètre instantanément avec cet instrument dans les couloirs de l’Institut Curie.

50Nous jouons avec et pour l’enfant. Nous sommes les acteurs, les enfants sont spectateurs-partenaires de notre jeu. Mais, quand un enfant devient «metteur en scène» des clowns, qu’il prend les choses en main, nous fait jouer, devient notre chef d’orchestre, c’est avec un immense plaisir que nous nous laissons faire.

51Nous ne venons pas «soigner» au propre sens du terme. Nous participons de notre place au processus de soins et au traitement de l’enfant.

52Chaque jour, une activité différente est proposée aux enfants, un jour c’est la musique, un autre les arts plastiques, un autre la poterie, un autre encore l’informatique, et le mardi c’est le jour des clowns. Cette régularité est importante pour les enfants, ils la connaissent et nombreux sont les enfants qui demandent à commencer leur chimiothérapie le mardi pour nous voir.

53Les clowns déambulent dans les différents espaces du service qui sont la consultation, l’hôpital de jour, les salles de jeux, de classe, de soins, le couloir et les chambres et aussi le «secteur» qui est un espace protégé.

54Le service d’oncologie pédiatrique de l’Institut Curie est un service ouvert et vivant. Le personnel est très disponible pour les enfants et leurs familles. Salle de jeux, salle de classe, salle d’ordinateurs sont à la disposition des enfants. Espaces communs dans lesquels les enfants sont invités à se rendre le plus possible.

55À l’écoute de l’enfant, de son état, de son âge, les clowns improvisent et jouent avec et pour l’enfant. Jouer avec l’autre nécessite centration, disponibilité, accueil, acceptation de l’autre et du regard que l’autre porte sur soi.

56Après la transmission nous allons nous préparer, nous maquiller et nous habiller. Et préparer notre matériel. Outre l’orgue de Barbarie nous n’arrivons pas les mains vides. Nous avons quelques «trucs» à notre disposition. L’orgue dont nous jouons, mais dont les enfants aussi peuvent jouer, des tours de magie, des balles rebondissantes, des balles de jonglage, de quoi faire des bulles, des petit* instruments de musique, de quoi maquiller les enfants, un petit appareil photo Polaroïd, des marionnettes, des ballons à gonfler, des plumes de couleur, etc. Et nous mettre en condition avant d’ouvrir la porte du couloir.

57Au son de l’orgue de Barbarie nous pénétrons d’abord dans la partie du service où se trouvent l’hôpital de jour et la consultation. Nous découvrons alors les enfants et leurs familles. Dans la salle d’attente, nous jouons à nous prendre pour un patient peu patient, fonçant dans le bureau du médecin lorsque la porte s’ouvre, insistant pour être vus en urgence avant tout le monde, ou alors nous jouons des chansons sur l’orgue, demandant aux enfants de les reconnaître et de les chanter.

58Sans cesse, nous improvisons, réagissant à ce que nous voyons, entendons, ressentons. En empathie avec les enfants et leurs familles qui, bien souvent, attendent très longtemps avant d’être vus par le médecin. Par notre jeu, on crée du lien entre les familles et les enfants. Et le clown, par ses maladresses et ses gaffes, détend l’atmosphère et provoque le rire.

59À l’hôpital de jour, souvent à la demande des infirmières, on entre dans une salle de soins, chantant une chanson, racontant une histoire, accompagnant l’enfant à qui l’infirmière fait une prise de sang ou pose une perfusion. Par notre jeu, nous tentons de divertir l’enfant, de détourner sa peur, et d’aider l’infirmière à faire accepter son geste par l’enfant.

60Quitter les enfants pour continuer sa route est toujours le moment le plus délicat. Comment ne pas créer du vide par notre départ? Bien souvent, à l’enfant, nous laissons une trace: un ballon, une plume, une photo de lui, que grâce à notre Polaroïd nous avons pu prendre.

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Seccotine et Ciboulette débarquent dans le long couloir qui sert de salle d’attente pour la consultation. Ce jour-là quatre familles attendent d’être vues par le médecin. Les clowns sont inquiets. Les familles ont-elles été bien informées que l’attente durait 24heures? Ont-elles apporté le nécessaire pour bien vivre cette longue attente? Une des familles semble avoir pris ses précautions. Deux grands sacs trônent à leurs pieds. Seccotine et Ciboulette les montrent en exemple. Mais les autres… Comment vont-ils pouvoir s’organiser pour bien supporter ces 24 heures? Il y a bien l’orgue de Barbarie… une petite fille en joue. Son papa invite Ciboulette à danser la valse… La musique s’arrête… la danse aussi… il faut trouver autre chose.
C’est alors que les clowns se souviennent que dans le sac de Ciboulette il y a de grands fils de fer recouverts de feutrine qui servent à créer des figurines. Le paquet est intact, tout neuf. Ciboulette les sort de leur emballage, les déploie, on dirait un bouquet de fleurs… Chacun choisit un fil rouge, vert, violet, noir, etc. Les mains s’activent. Un petit garçon et son papa fabriquent une paire de lunettes, une maman fait un scoubidou, un autre papa transforme le fil en point d’interrogation, une maman en fait un fil tout biscornu. Bref, personne ne reste les mains ballantes… Le chef de service passe, il est pressé, il a rendez-vous… On lui prédit qu’il va attendre… Pour qu’il ne s’impatiente pas, les clowns lui donnent un fil de feutrine. Certains enfants lui montrent comment s’en servir!
Quelques instants plus tard le médecin vient chercher un enfant et sa famille, c’est enfin l’heure de leur rendez-vous! Étonné de voir tout le monde tournicoter des fils de feutrine, on lui explique qu’il doit être reconnaissant aux clowns d’avoir trouvé le moyen d’empêcher une émeute dans la salle d’attente, car attendre 24 heures pour être vu par le médecin… c’est long… et anxiogène, car c’est au cours de la consultation que sont annoncées les bonnes et les mauvaises nouvelles.
En fin d’après-midi, sur le chemin du départ, quand les clowns retraverseront la salle d’attente, vidée de ses patients, une femme, de la salle d’arts plastiques où elle s’est installée, les interpellera. «Vous m’avez ignorée tout à l’heure dans la salle d’attente, vous ne m’avez pas vue?» C’est vrai. Elle réclame des fils de feutrine. Nous nous excusons. Où s’était-elle cachée? Nous lui donnons trois fils… Elle s’en fait des lunettes, des moustaches, une plume pour les cheveux. Elle rit. Elle souhaite être prise en photo. Ce que nous faisons. Son fils aussi. Son fils, un adolescent d’une quinzaine d’années, est aveugle. Il a un appareil photo particulier pour non-voyant… L’animatrice de l’atelier d’arts plastiques prend la photo pour lui. La maman est très heureuse de son déguisem*nt, elle le décrit très précisément à son fils, qui nous dit qu’il va pouvoir montrer la photo de sa mère déguisée à sa sœur. Ayant le sentiment d’avoir réparé notre «gaffe», nous partons.

62Après coup, nous nous interrogeons… Y a-t-il un lien entre le fait que cette mère et son fils aient été transparents à nos yeux et la cécité de ce grand garçon?

63Puis nous pénétrons par un couloir dans le service d’hospitalisation. Dans le couloir, nos interventions ont souvent un caractère plus spectaculaire que dans l’intimité d’une chambre. La première année nous n’osions pas faire beaucoup de bruit. L’équipe nous ayant demandé, d’être moins discrets et de ne pas hésiter à faire du «chambard», il nous est arrivé de créer dans le couloir une chorale improvisée, accompagnant avec l’orgue les soignants et les familles qui chantaient les chansons que nous jouions.

64Nos interventions sont diversifiées selon la disponibilité de l’enfant à nous recevoir, le moment de sa maladie, sa fatigue, son âge, le lieu dans lequel on le voit. Nous nous adaptons en permanence.

65– En fonction de la disponibilité de l’enfant à nous recevoir.

66Certains enfants, très vite, nous sachant arrivés, nous réclament ou viennent nous chercher. D’autres, après que nous avons frappé à leur porte, nous laissent entrer mais gardent la tête tournée, dans l’impossibilité de nous regarder. Nous restons alors sur le pas de la porte, jouant pour lui, à distance, lui laissant le temps d’entrer en relation avec nous. Parfois, par une marionnette au bout du doigt, nous tentons d’installer un dialogue. Il arrive que certains enfants ne puissent pas entrer en contact avec nous dès la première fois. Soit ils ont peur de nous – c’est souvent le cas de très jeunes enfants –, soit ils sont trop douloureux, ou trop fatigués, ou encore trop anxieux. Ces enfants-là, quand nous pouvons les revoir les fois suivantes, il est fréquent qu’on réussisse alors à les apprivoiser. Je me souviens d’une enfant avec qui les travaux d’approche avaient duré des semaines, et qui, une fois en confiance, ne nous quittait plus d’une semelle et nous accompagnait dans toutes les chambres. Je revois son image, petite bonne femme de 2ans, qui, un jour, nous accueillit flanquée d’un nez rouge!

67Pour réussir à entrer dans la chambre d’un enfant qui nous tourne le dos nous jouons l’entrée comme un rituel, nous répétons, répétons notre arrivée, transformant le passage de la porte en spectacle et permettant petit à petit à l’enfant de la vivre comme un jeu.

68Le personnel, quelquefois, nous sert d’intermédiaire et demande à l’enfant s’il souhaite nous recevoir.

69Il nous faut tenir compte de l’état de fatigue ou de douleur de l’enfant, pour cela, l’aide apportée par le personnel nous est très précieuse. Avec des enfants très fatigués, nous restons peu de temps, avons des interventions peu bruyantes. L’enfant semble passif. Et puis nous partons. Et l’enfant, d’un signe de main, nous dit «au revoir», ce geste dure bien souvent longtemps. Geste qui dit qu’il était là, qu’il a reçu et que c’était important pour lui.

70L’état psychique de l’enfant est une donnée importante dont il faut tenir compte. Pour certains l’anxiété est trop grande pour qu’ils puissent accepter la présence des clowns. Néanmoins, quand nous avons pu entrer dans la chambre, soutenus par le personnel qui insistait, pensant que notre présence pouvait faire sortir certains enfants de la tristesse dans laquelle ils étaient, ces moments partagés ont toujours été bénéfiques et profitables à l’enfant, qui, à notre contact, a pu retrouver son sourire, son rire, sa parole. Ce qui a pu faire dire, une fois, à une infirmière, après notre passage: «Je suis rassurée, il n’est pas dépressif.»

71

Deux jeunes filles de 11ans partagent la même chambre. J. et A. J. attend avec impatience la présence des clowns. Mais A. est très fatiguée, très douloureuse et ne veut absolument pas voir les clowns. Quand Seccotine et Ciboulette entrent dans la chambre, il y a un paravent entre les deux lits, installé à la demande d’A. Pour rejoindre J., dont le lit est devant la fenêtre, il faut passer au pied du lit d’A. qui dort. Ce que nous faisons en catimini. Dans la chambre, il y a beaucoup de monde: les parents de J. et ceux d’A. sont présents. J. a sur son lit une abeille en peluche, qu’elle remonte à l’aide d’une clé, et qui se met à se trémousser. L’agitation de l’abeille est contagieuse. Voilà Seccotine prise des mêmes tremblements! Il faut calmer Seccotine! Puis on prend une photo de J., de son papa, de sa belle-mère et de Ciboulette. Il faut se serrer les uns contre les autres pour être sur la photo… Surtout que le papa de J. a un gros ventre qui, sur la photo, occupe toute la place. Les clowns se moquent gentiment. Le papa participe de bon cœur. Puis Ciboulette sort un jeu de cartes et commence un tour de magie. C’est alors qu’on entend une petite voix de l’autre côté du paravent qui réclame de voir et veut qu’on enlève le paravent. A. souhaite participer! On enlève le paravent. Pour toute la chambre, Ciboulette, aidée de Seccotine, procède à son tour de magie. Avec succès. A. est très attentive. Ciboulette en profite pour proposer un autre tour. Qu’à la fin A. dit connaître. Il faut s’en assurer. C’est donc au lit d’A. que Seccotine et Ciboulette refont encore une fois le tour. On prend une photo d’A. Au moment de partir A., qui n’a plus l’air de penser à sa douleur, avec un grand sourire, nous réclame un ballon. Que nous nous faisons une joie de lui donner ainsi qu’à J.

72Parce que nous avons respecté la fatigue et la tristesse de A. nous lui avons permis de choisir de nous rejoindre ou de ne pas nous rejoindre dans le jeu. Les parents de A., silencieux, aux côtés de leur fille, sont démunis et dans l’impossibilité de soulager leur enfant. Leur inquiétude est grande. A. s’enferme dans sa douleur. C’est parce que nous lui avons laissé le choix de nous rencontrer ou de ne pas nous rencontrer qu’elle a pu choisir de nous rejoindre. Et par là même d’exprimer un désir. Par la vitalité qu’alors elle exprime, contrastant avec l’enfermement dans lequel elle était lorsque nous sommes arrivés, elle dit des choses à ses parents. Ceux-ci, soulagés de retrouver la capacité de jeu chez leur enfant, pourront se permettre d’être un peu moins anxieux.

73A. joue avec nous. C’est sérieux le jeu pour un enfant… C’est sérieux et indispensable.

74– En fonction de son âge.

75Nous adapter en permanence à l’âge de notre public est, pour nous, une des dimensions les plus acrobatiques. Les enfants hospitalisés ont entre quelques mois et 18ans…

76La disponibilité à nous recevoir pour un enfant s’articule à la relation qu’il entretient avec le personnage du clown, les plus jeunes en ont souvent peur, les plus vieux, les adolescents, eux, affichent un grand désintérêt ou du mépris. Nous ne forçons jamais un adolescent à nous ouvrir sa porte. Mais, bien souvent, quand il nous l’ouvre il devient un véritable partenaire de jeu.

77

C. est un bébé d’un mois. Sa maman est très déprimée, ça fait huit ans qu’elle attend ce bébé. Et le bébé va mal. La maman a besoin de parler, de dire. Autour du berceau, une conversation s’engage entre la maman, Seccotine et Ciboulette. La maman nous dit qu’elle vient de perdre son grand-père et que donc le bébé n’a donc pas d’arrière-grand-père.
Les clowns s’adressent aussi au bébé. À la question: «Et ton papa, où est-il?» la maman répond: «Papa est au travail» Ciboulette s’étonne. Qui est au travail? Le papa de la maman? Non, le papa de C., dit la maman. Seccotine prend la balle au bond et dit à Ciboulette: «Tu vas voir, les mamans des bébés, elles sont bizarres dans leur tête… Tiens, tu vas voir. Demande au bébé comment il s’appelle.» Ciboulette s’exécute et demande au bébé: «Comment tu t’appelles?» La maman répond: «Je m’appelle C…» Seccotine a raison… Les mamans sont étranges, elles répondent comme si elles étaient leurs bébés. D’ailleurs la maman continue et dit: «Je ne suis resté que 24 heures à la maison, j’ai tout de suite été malade, je suis allé d’hôpital en hôpital. Et maintenant je suis ici.»
Seccotine et Ciboulette s’en donnent à cœur joie… posent des questions, font des tests, s’adressent à la maman, au bébé, se posent des questions mutuellement, tout s’embrouille, on n’y reconnaît plus son latin!… La maman rit! Les clowns peuvent s’éclipser.

78Par le jeu et par la dérision cette maman a pu dire, sur un autre mode que celui sur lequel elle échange avec les médecins ou la psychologue, sa détresse. Nous avons, peut-être, permis grâce au décalage du regard que nous portons comme clowns sur l’histoire de cette maman qui vient de perdre son grand-père, et qui a si peur de perdre son bébé, qu’elle puisse prendre conscience qu’elle et son bébé ne faisaient qu’un.

79– En fonction du moment dans le temps de sa maladie.

80Qu’il arrive pour commencer un traitement, qu’il poursuive une cure, qu’il revienne du bloc, qu’il soit en salle de soins pour un nettoyage de son cathéter, qu’il soit dans le service depuis plusieurs semaines, qu’il soit isolé dans le secteur, qu’il en sorte enfin, qu’il commence et termine sa dernière cure, qu’il soit en fin de vie: autant de temps différents pour les enfants, leurs familles et les clowns.

81

V. est un grand jeune homme. Le diagnostic vient de tomber. Il a une méchante tumeur au tibia. Le pronostic n’est pas très bon. Le traitement sera lourd. Les parents, très anxieux, attendent l’annonce du diagnostic. V., sur la défensive, est très difficile d’accès. Nous allons dans sa chambre. Il ne manifeste aucun enthousiasme à notre arrivée, nous restons un moment sur le pas de la porte. À ses côtés il y a ses grands-parents, qui, manifestement, ont eu connaissance des mauvaises nouvelles. Ils nous sourient et nous invitent à entrer dans la chambre.
Nous décidons de rencontrer V. par l’intermédiaire de la musique de l’orgue de Barbarie. V., au son de l’orgue, se retourne dans son lit et nous fait face. Petit à petit, il s’intéresse à notre musique, tant et si bien qu’au bout d’un moment, il demande à tourner lui-même la manivelle et à jouer de l’orgue de Barbarie. Il sourit, ses grands-parents aussi et nous, à l’intérieur, aussi! Sans aucune parole prononcée, le contact avec V. s’est établi. C’est accompagnés par le grand sourire de ses grands-parents que nous quittons la chambre.
E. est une petite fille de 8ans. Nous ne la connaissons pas encore. Elle est arrivée dans le service pour une chimiothérapie spécifique qui ne se pratique pas dans la région où elle habite. Au cours de la transmission, il nous a été dit que E., avant d’être malade, jouait de la harpe, montait à cheval, faisait de la danse et du solfège. Quand Seccotine et Ciboulette entrent dans la chambre de E., elle est couchée et semble très fatiguée. Sa maman, assise à côté d’elle, fait des mots croisés. Elle nous accueille volontiers mais sans manifester un grand enthousiasme. Nous lui disons que nous savons qu’elle sait faire plein de choses et que nous comptons sur elle pour nous les apprendre. Nous lui demandons de nous apprendre à monter à cheval. E. est étonnée… Monter à cheval, ici, dans une chambre d’hôpital? Les clowns insistent… Si ce n’est pas possible à cheval, peut-être que ce serait plus facile de nous apprendre à monter sur un chameau, ou sur un vélo, ou sur un éléphant? Non, répond E. De toutes les manières, elle, elle fait du poney. Son poney préféré s’appelle Kala. Seccotine et Ciboulette prennent alors leur première leçon de poney. Comment fait-on pour arrêter un poney, comment dit-on «stop» en langage poney? En tirant sur les rênes, répond E. Les rênes? Des cordes qui passent dans la bouche du poney… Ciboulette prend alors la cordelette qui maintient un petit carnet à la taille de Seccotine, la lui met dans la bouche et tire… Oui, c’est bien comme ça, dit E. Et comment on avance? En donnant des coups de talons dans le ventre. Ciboulette force alors sa partenaire à se mettre à quatre pattes, monte sur le dos de Seccotine, et lui donne de bons coups de talons dans le ventre. Seccotine se rebelle… Comment se débarrasse-t-on de son cavalier? En ruant! Seccotine rue, Ciboulette se retrouve par terre, les quatre fers en l’air! Les clowns commencent à ne plus du tout trouver ce jeu amusant. Il faut apprendre autre chose! Pourquoi pas la danse? Ciboulette a la jupe qui convient pour danser et Seccotine les bonnes chaussures…
E. suggère que nous échangions nos tenues. Seccotine a des grands pieds, ses chaussures sont trop grandes pour Ciboulette… Et Ciboulette ne veut pas enlever sa jupe devant tout le monde pour la donner à Seccotine! Il faut trouver autre chose! Et si E. apprenait aux clowns à chanter? E. connaît une chanson, la chanson des Andes. Mais ça fait bien longtemps qu’elle ne l’a pas chantée! Les clowns insistent. E. chante. Sa voix claire envahit la chambre. Les larmes montent aux yeux de la maman de E. Qui tente de les retenir et de les essuyer discrètement. Mais c’est impossible. Ciboulette a perçu l’émotion qui envahit la maman d’E. en entendant sa fille chanter. La maman se lève, s’éloigne et regarde dehors. E. chante toujours. Et bute systématiquement sur la même phrase dans la chanson. C’est une phrase poétique… C’est compliqué la poésie… Et si on saute les passages poétiques la chanson ne veut plus rien dire! E. essaie encore et échoue… Les clowns proposent de l’aider… On va tous chanter ensemble! Ciboulette s’approche de la maman, par un geste tendre lui signifie qu’elle a perçu sa détresse et l’invite à nous rejoindre pour chanter avec sa fille. Les clowns, E. et sa maman sont tous professeurs de chant! Ensemble on chante! Miracle! Ça marche! E. se souvient de tout, de la musique, des paroles… Elle se redresse, s’assied sur son lit, sourit. E.,seule, cette fois, chante la chanson, accompagnée par les clowns et sa maman qui jouent des maracas que les clowns ont distribuées. Applaudissem*nts! Ça mérite une photo. De nous trois, E. encadrée par les clowns. La maman se transforme en photographe et réussit à nous faire tenir toutes les trois dans le cadre de la toute petite photo faite avec le Polaroïd. Comment la rendre plus grande? Ciboulette suggère de mettre cette toute petite photo dans un très grand cadre, ainsi la photo paraîtra grande! Et comment rendre les choses plus petites? En les pliant en quatre, nous dit E. Il suffira donc pour la deuxième leçon de poney de plier Kala, le poney préféré d’E., en quatre et de le mettre dans le coffre! E. pense que ce ne sera pas possible! Et puis, depuis sa maladie, elle ne fait plus d’équitation. Mais elle fait de la magie! Et ça, c’est facile à transporter! Alors, promis, la prochaine fois qu’elle viendra à Curie elle nous apprendra un tour de magie! Il est temps pour les clowns de partir. Nous quittons E. et sa maman qui nous gratifient d’un beau et grand sourire.

82Nous sommes restées longtemps dans cette chambre. Par le jeu, les clowns ont sans doute permis aux objets investis par E., avant sa maladie: l’équitation, la danse, la musique, d’entrer dans la chambre et de sortir de l’«oubli» dans lequel ils avaient été placés. C’est l’enfant vivant, l’enfant habité de désirs qui est mobilisé par la présence des clowns et le jeu qu’il développe avec eux.

83Pendant un moment, sans doute éphémère, la fatigue, l’anxiété et la douleur s’envolent, l’enfant se redresse dans son lit, coopère à la dynamique du jeu, participe à la création de l’improvisation. Ce qui, tout à la fois, rassure sa maman mais augmente aussi sa peine et sa peur.

84C’est toujours à la demande du personnel ou des parents que nous entrons dans la chambre d’un enfant en fin de vie. Au début de notre activité dans le service nous nous demandions avec inquiétude si nous allions être à la hauteur et le supporter. Allions-nous trouver la délicatesse nécessaire pour donner à ces enfants un peu de gaieté, allions-nous savoir tenir notre place juste sans être submergés?

85Dans la chambre d’un enfant, qui, quelques heures plus tard, ne sera plus là, nous sommes toujours justes. La question de savoir quoi proposer, quoi faire, ne se pose jamais dans ces chambres-là. Nous sommes là, avec notre nez de clown, le plus vrai possible, proposant une chanson douce, accrochant un ballon de couleur à son lit. Mais dès que nous nous retrouvons dans le couloir, l’émotion nous envahit et nous laisse bouleversés. Un médecin nous a dit, un jour: «C’est pour ces moments-là qu’on a besoin de vous, que l’enfant parte en ayant vécu un moment joyeux. Seuls les clowns peuvent faire ça.» Cette parole nous a beaucoup aidés et réconfortés.

86Je ne sais pas si nous «soignons» l’enfant quand nous sommes à son chevet, je suis même sûre que nous ne soignons rien du tout. Mais l’enfant, lui, nous soigne et nous transforme. Ça c’est sûr!

87Le courage des enfants est aussi une grande leçon. Bien souvent ils réconfortent leurs parents, les rassurent. Et les protègent. Un enfant, une fois, réclamait un soin à l’infirmière. Celle-ci a demandé aux parents de sortir un moment dans le couloir. En fait, il avait besoin de tousser, d’une toux effroyable et il ne voulait pas que ses parents en soient les témoins. Rôle de témoins dans lequel certains enfants aiment mettre les clowns, en en faisant leurs complices.

88

Il arrive que ce soient les parents d’un enfant en fin de vie qui nous sollicitent. Je me souviens de la maman de L. que nous, Pop et Ciboulette, avions suivie dans la chambre de son enfant. Celui-ci était déjà dans un état d’inconscience. La maman s’est penchée et à son oreille a crié: «Les clowns sont là, regarde!» Ce que L. était incapable de faire. Nous avons commencé à jouer de l’orgue de Barbarie. La maman faisait tout son possible pour que son enfant nous entende et nous voie. Elle lui tournait la tête de notre côté, le mettait en position assise, tentait de lui faire ouvrir les yeux. Nous, nous continuions de jouer, envahis par un malaise de plus en plus grand. À la fin du morceau, nous avons pris congé en disant un vrai «au revoir» à l’enfant que la maman recouchait dans son lit.

89Qu’attendait cette maman de nous? Que notre présence, notre musique, redonnent vie à son enfant? Bien que nous comprenions la détresse de cette maman, nous eûmes beaucoup de mal à supporter de la voir bousculer son enfant pour qu’il se réveille. Notre malaise était d’autant plus grand qu’il nous était impossible, à nous les clowns, d’en dire quelque chose à la maman.

90– En fonction du lieu où est l’enfant:

91La relation avec l’enfant dans sa chambre reste intime. La chambre peut devenir terrain de sport, les perfusions panier de basket, la table roulante table pour magicien, etc. Dans le couloir, dans la salle de jeux, enfants, familles, personnel forment notre public. Dans la salle de classe, les clowns redeviennent élèves et perturbent un moment les devoirs et l’enseignement. Pour la plus grande joie des enfants et de l’institutrice.

92

Ce jour-là Trampo et Ciboulette vont à l’école. Dans la salle de classe, il y a deux petites filles. A. et M. A. ne nous connaît pas encore. Nous nous présentons. A. trouve Ciboulette très belle et Trampo très moche. L’institutrice tente de défendre Trampo. Ciboulette insiste, c’est vrai que Trampo n’est pas beau! La perfusion de A. se met à sonner. Une infirmière arrive pour changer la poche du produit de la perfusion. Ciboulette alors suggère qu’une perfusion pourrait peut-être rendre Trampo beau? L’infirmière accepte de jouer le jeu. Elle part chercher du matériel pour pouvoir brancher une perfusion à Trampo, tout en suggérant de mettre un peu de couleurs. Un arc-en-ciel, peut-être? Aidés par l’institutrice les enfants dessinent des arcs-en-ciel. L’infirmière revient avec une perfusion. On «branche» Trampo. Les enfants et Ciboulette collent sur Trampo des gommettes de toutes les couleurs, les arcs-en-ciel, dans sa main, on installe la poire musicale de Trampo qui se transforme en pompe. On scotche la perfusion sur le bras de Trampo. L’infirmière explique à Ciboulette comment ouvrir et fermer le débit de la perfusion. On «pique» Trampo. Tout le monde collabore… Les enfants, l’institutrice, l’infirmière et les clowns. Grâce à la perfusion, pleine de couleurs Trampo, petit à petit, se transforme et devient beau. Ciboulette prend une photo de Trampo car une photo s’impose.

93Cette improvisation nous semble exemplaire à plusieurs titres:

94Il s’agit de la théâtralisation dans l’univers du clown du vécu des enfants au cours de leur maladie. Il s’agit donc d’une transposition dans un registre symbolique sous forme de métaphore.

95Et cela grâce à:

  • la synergie créée autour des enfants grâce à la collaboration et à l’intervention active de plusieurs intervenants: institutrice, infirmière et clowns;
  • l’utilisation détournée du matériel médicalisé, les perfusions deviennent un accessoire ludique.
La dédramatisation peut advenir grâce à ce détournement.

96Dans cette improvisation, la perfusion et le produit distillé sont ressentis comme quelque chose qui rend beau. Certes, le produit que la perfusion inocule dans le corps lutte contre le cancer et permet de guérir. Mais la perfusion a aussi des effets pervers, puisque ces produits qui soignent sont aussi porteurs de grands dérèglements pour l’organisme. Là, dans l’utilisation que les clowns font de la perfusion, elle n’est que bénéfique!

97Bien souvent les interventions des clowns dans la salle de classe, qui pourraient de prime abord être ressenties comme perturbatrices, sont vécues comme une aide pour les enfants, leur permettant d’être plus présents au travail proposé par l’institutrice grâce à la légèreté un moment introduite par les clowns dans la classe.

98Quand nous allons dans le secteur protégé nous devons nous habiller d’une manière spéciale: blouse, charlotte, chaussons, masques. Du clown, il ne reste que le nez rouge! Seuls les objets que nous pouvons désinfecter peuvent pénétrer dans les chambres du secteur. Même si les possibilités de jeu sont limitées dans le secteur, il est très important d’aller passer un moment avec les enfants qui y sont. Ces enfants sont complètement isolés du reste du service, et ce, pendant des semaines. Leurs parents, leurs mères la plupart du temps, bottés, casqués, restent à leurs côtés tout au long de la journée et souffrent aussi de l’enfermement et de l’isolement. Notre venue allège un moment l’atmosphère, permet souvent à la mère de l’enfant de le quitter un instant et fait du lien entre le service et la chambre de l’enfant.

99Un jour, alors que nous n’avions pu aller dans le secteur, une enfant que nous avions vue la semaine précédente et à qui nous avions donné un nez de clown, comprenant que nous ne viendrions pas, a découpé avec rage le nez qu’on lui avait donné! Nous nous sommes sentis très coupables, mais l’éducatrice nous a rassurés en nous disant que c’était une bonne chose qu’enfin cette enfant se fâche!

100

J., un adolescent de 15ans, est au secteur. Ce qu’il supporte mal. Il rejette tout contact et refuse de recevoir les clowns, Ciboulette et Trampo. Nous décidons de faire une tentative d’approche sans entrer dans sa chambre, mais en restant de l’autre côté de la vitre. Ciboulette déplie une blouse stérile et la présente à Trampo, qui tel un taureau fonce sur la blouse et tente d’enfiler les manches. Ciboulette, devenue pour l’occasion torero, dérobe la blouse aux bras tendus de Trampo. La corrida bat son plein.
La corrida devient ballet, bagarre, échange de coups de poings, tentatives d’assassinat, sur un rythme, tour à tour, accéléré ou ralenti. La charlotte se transforme en protection pour les oreilles, le masque en chapeau. Les clowns se trompent, mettent tout à l’envers. De l’autre côté de la vitre, J. s’est assis sur son lit. Les clowns l’appellent à l’aide, lui demandent des conseils. Par de grands signes J. fait comprendre que nous faisons erreur; par de grands gestes, il montre comment mettre les habits. Ces clowns-là sont trop bêtes! J. rit, participe. Vient le moment de partir. Nous lui disons «au revoir», lui lançant des baisers. Mais J. refuse de nous laisser partir. Lui, qui, il y a quelques instants, ne voulait voir personne! Nous lui faisons comprendre que d’autres enfants nous attendent, et pour nous faire pardonner notre départ, nous lui jouons alors un air, sur l’orgue de Barbarie.

101Nous sommes toujours très bien accueillis par les familles. Certains nous préviennent que l’enfant nous attend avec impatience, d’autres nous «confient» leurs enfants profitant de notre présence pour aller prendre l’air. À leur retour, les enfants leur racontent leurs exploits et ceux des clowns. Un enfant dit à sa mère: «Faut que je te dise, on a remonté le plafond!»

102Certains parents deviennent nos partenaires de jeu: sous les yeux de l’enfant le père danse la valse avec Ciboulette, une mère devient gardien de but, une autre, assistante pour un tour de magie.

103

S., une petite fille de 10ans, arrive dans le service. Seccotine et Ciboulette décident d’aider S. à s’installer dans sa chambre et d’être en quelque sorte le comité d’accueil. Dans la chambre, il y a déjà M., grande jeune fille de 15ans. De M., il nous a été dit qu’elle était très fatiguée et qu’elle dormait toute la journée. Quand nous entrons dans la chambre M. ne dort pas, elle est même très réveillée. Sa mère est à ses côtés. S. nous fait découvrir ses affaires. Elle a une valise qui, quand on appuie dessus, se met à clignoter! Ce qui fait le bonheur des clowns et même les rendrait un peu jaloux! On joue, on rit. M. de son lit participe aux jeux. La maman de M. rit et dit: «Ça fait du bien! Ça fait si longtemps!» Les zygomatiques de la maman de M. se sont remis en marche! Ils en avaient bien besoin!

104Il nous est arrivé d’avoir à jouer le rôle d’un parent auprès d’un enfant. Ce sont souvent des enfants dont les parents sont restés dans leur pays d’origine. Dans ces cas-là, nous perdons un peu notre statut de personnage de clown. Notre présence devient sécurisante, tendre, maternelle, rassurante. Le nez rouge ne nous semble, alors, plus vraiment nécessaire, encore que c’est peut-être lui qui nous autorise certains actes auprès des enfants, fonctionnant comme un laissez-passer, une carte de visite, une permission de toucher, de soutenir, d’accompagner.

105Il nous est aussi arrivé d’être mis à une place ou d’accepter d’occuper une place qui n’est pas une place juste pour les clowns.

106

F. est un petit bébé de cinq mois. Sa maman est en train de la changer. Trampo et Ciboulette jouent avec la machine à bulles au-dessus du lit de F. Ils proposent à la maman de prendre une photo de F. en compagnie d’un des deux clowns. Ciboulette prend la photo. La maman parle beaucoup. Noël est dans deux jours. Elle dit qu’elle n’oubliera jamais ce Noël-là, le premier de sa fille, à l’hôpital. «C’est si difficile, dit-elle, F. a de la chance! Elle oubliera, elle ne se souviendra de rien.» Nous n’avons pas pu nous empêcher de dire à cette maman que cette hospitalisation faisait partie de la vie de F., que ça faisait partie de son histoire, qu’il était important de ne pas faire comme si ça n’avait pas existé. Et qu’heureusem*nt maintenant il y avait la photo! Preuve de son passage à Curie!

107Nous avions bien conscience que nous sortions de notre rôle en tenant un tel discours à cette maman. À qui s’adressait-elle quand elle nous parlait? Sûrement pas à des clowns! Que pouvions-nous faire ou ne pas faire?

108Lors du temps de régulation et de réflexion que nous avons dans le service nous avons pu travailler cette question et une règle a été établie: «Quand nous avons été sollicités sur un autre registre que celui du jeu du clown, et qu’il nous est fait part d’éléments qui ne s’adressent pas aux clowns, la règle est alors d’en référer en temps réel soit à une infirmière, soit à un médecin, soit à la psychologue.»

109

Une après-midi, un enfant venait de décéder. Comme une traînée de poudre la nouvelle s’était répandue parmi les parents des autres enfants présents dans le service. La levée du corps allait avoir lieu. Fait rare. Car souvent la levée de corps a lieu pendant la nuit, lorsque les enfants dorment et que leurs parents sont partis. Les familles étaient dans le couloir, se soutenant mutuellement. C’est alors que la surveillante a appelé les clowns à l’aide. Il fallait trouver quelque chose pour protéger les familles, pour détourner l’attention des personnes massées dans le couloir pendant qu’on allait sortir le corps de l’enfant. Les clowns ont joué, chanté, fait de la musique, attiré l’attention. Entraînant les familles loin de la chambre de l’enfant décédé. Ce qui a permis aux soignants de procéder à la levée du corps. «Sans vous on n’y serait jamais arrivé», nous ont-ils dit après.

110La confiance que nous fait le personnel nous aide beaucoup dans nos interventions.

111Le personnel est très demandeur de la présence des clowns. Pas seulement auprès des enfants mais aussi auprès des soignants. Nous demandant de les bousculer, de les distraire, dans tous les sens du terme. Bien sûr tous les moments ne sont pas opportuns. Quand il y a trop de travail et pas assez de personnel, quand la tristesse est vraiment trop grande, il est préférable de ne pas trop insister dans notre jeu avec les soignants. Mais quand nous sentons qu’il y a de la place pour jouer avec eux, alors, nous les faisons chanter, danser, nous les perturbons dans le compte des gouttes des perfusions, nous demandons à avoir un pansem*nt, nous exigeons des jours de repos à la surveillante, etc. Nous prenons beaucoup de plaisir dans ces moments de jeu partagés.

112

T., un petit garçon de 3ans, doit subir un soin. Son cathéter doit être nettoyé. Une aiguille doit être replacée. Dans les bras de sa maman, T. se dirige vers la salle de soins. Il pleure beaucoup et crie: «Non! Non!» Une infirmière et une auxiliaire l’accompagnent. Trampo et Ciboulette sont dans le couloir, non loin de la salle de soins. L’infirmière appelle les clowns à l’aide. T. connaît bien les clowns. Plus tôt dans l’après-midi, il a passé un grand moment avec eux. Les clowns pénètrent dans la salle de soins. On ferme la porte. T. hurle de plus en plus fort. Il se débat. Impossible pour l’infirmière d’approcher T. et de procéder aux soins. Ciboulette joue de la musique. Sans aucun effet. Ciboulette insiste. Elle chante. T. est allongé sur sa maman qui est elle-même couchée sur la table de soins. À côté de la table, Trampo est là. T. le voit, prend la main de Trampo et ne la quitte plus. Ciboulette gonfle un ballon, joue du limonaire, chante une chanson. Les pleurs de T. se calment. Trampo lui raconte une histoire. Bon an mal an, les soins sont finis, T. a cessé de pleurer depuis un moment. On félicite T. Ciboulette lui donne le ballon. Tout le monde sort dans le couloir. Dans les bras de sa maman T. serre fort le ballon contre lui. La maman et les soignants remercient les clowns.

113Qu’avons-nous fait? Nous avons tenté de distraire T. Nous avons tenté de rendre ce moment moins dramatique pour T. Nous avons aidé le personnel à travailler. C’est peu et c’est beaucoup à la fois.

114

H. est un petit garçon très tonique, très curieux. C’est aussi un petit garçon qui a du mal avec les limites. Avec sa maman H. attend à la consultation d’être vu par le médecin. Quand la porte du bureau du médecin s’ouvre et qu’il s’approche de H. celui-ci se met à hurler, se roule par terre, s’accroche à sa maman. Impossible de le faire entrer dans le bureau. Ciboulette et Trampo sont là. H. est très attaché à Trampo et Ciboulette et il est déjà arrivé qu’il ne les quitte pas d’une semelle lors de certains mardis. La porte du bureau du médecin est grande ouverte. Un rapide échange de regards entre les clowns et les voilà qui se précipitent dans le bureau, se disputant à grands cris. «C’est mon tour, dit l’un, c’est moi que le docteur doit voir!» «Pas du tout, dit l’autre, j’avais rendez-vous avant toi! C’est mon tour!» Les clowns se retournent alors vers le médecin qui en a profité pour entrer aussi dans son bureau, et lui demandent de dire qui des deux clowns a rendez-vous le premier. Les clowns ouvrent la bouche, tirent la langue, font ah! Le médecin passant de l’un à l’autre les examine. H. s’est approché. Il ne pleure plus, il regarde avec attention la scène et même se met à rire. Les clowns disent alors au médecin qu’il y a là un petit garçon qui aimerait bien être examiné… Ce qui surprend H., qui fait un pas en arrière. Les clowns alors disent à H. combien c’est agréable d’être examiné par ce docteur. Petit à petit H. se laisse approcher. D’un geste de la main, les clowns lui disent au revoir et sortent de la pièce.

115Là encore, par notre intervention, nous avons réussi à rendre ce moment moins dramatique pour H. En nous mettant à sa place, en jouant à être le patient nous lui avons permis de s’identifier à nous. Mais surtout, ce qui fut déterminant, c’est le fait que le médecin se soit prêté au jeu et soit entré dans la danse. S’il nous avait demandé de sortir de son bureau, par exemple, H. aurait sans doute continué à se débattre et la maman aurait eu bien du mal à le calmer. Un autre facteur a eu son importance: H. connaissait bien les clowns, il avait déjà établi une relation avec eux. Tout comme T. dans l’exemple précédemment cité. Il n’est pas certain que nos interventions auraient pu se dérouler de la même manière et avoir le même effet avec des enfants venant juste de faire notre connaissance.

116Il arrive que le personnel participe pleinement à l’improvisation et fasse des propositions de jeux.

117

A. est une petite fille de 8ans. Dans sa chambre, il y a ses grands-parents. Elle doit quitter le service demain et rentrer chez elle, à Mésy. À Mésy? Comment appelle-t-on les habitants de Mésy, demandent Seccotine et Ciboulette. Personne ne sait! La maman de A. nous rejoint. Elle ne sait pas non plus. Les Mésytois? Les Myosotis? Les Mésydonc? Les Mésyouioui? Les Mésisis? Les Mésidoncledoigt? Les Mésyciens? Entre une infirmière. Elle vient prendre un papier dans une boîte en plastique. Elle nous dérange. Les clowns boudent. Et tournent le dos à A. L’infirmière en profite pour accrocher des papiers dans le dos des clowns. Au bout d’un moment Seccotine découvre le papier scotché dans le dos de Ciboulette. Elle le lit. Il s’agit d’un inventaire, celui de la boîte en plastique, qui date de 2005… Le contenu de Ciboulette a manifestement besoin d’une révision et d’un inventaire à jour! Il faut réviser ses électrodes qui ne sont plus en état de marche, elles sont trop vieilles. La porte de la chambre est restée ouverte. L’animation qui règne dans la chambre attire du monde. La dame qui s’occupe de la cuisine arrive. Et propose une fourchette pour remplacer les électrodes défectueuses de Ciboulette. Avec du Scotch, on attache une électrode sur le chapeau de Ciboulette. Chez qui tout est à réviser… Seccotine, aidée de A. et de l’infirmière, réparent Ciboulette. Avec du Scotch, elles bouchent les trous de Ciboulette. Qui se retrouve la bouche scotchée, la figure traversée par un long morceau de Scotch. Ciboulette se fâche et se venge… Elle «scotche» tout le monde, A. qui ne se laisse pas faire, l’infirmière et, bien sûr, Seccotine. Ce qui énerve beaucoup Seccotine. Et c’est fâchées et vexées que, sous les rires de A. et de sa famille, elles quittent la chambre de A.

118Ce qui a fait lien dans ce moment de vie des clowns dans la chambre de A., c’est l’initiative de l’infirmière. En collant les inventaires, périmés…, dans le dos des clowns, elle a donné du jeu aux clowns, jeu auquel se sont associées toutes les personnes présentes dans la chambre et… dans le couloir!

119Quand les désastres causés par la maladie se voient, que les enfants sont déformés, amputés, il est bien difficile alors de faire comme si «ça ne se voyait pas»! Et il est difficile de cacher à l’enfant qu’on voit! Et faut-il le cacher?

120

V. est une jolie jeune fille de 11ans au regard et au sourire lumineux. De sa chambre, elle nous a appelés. Son visage est constellé de taches de rousseur, elle a les yeux bleus et pose sur nous un regard ouvert. Elle n’a pas encore commencé sa chimiothérapie. Ça ne saurait tarder.
Il y a 15 jours la jambe droite de V. a été coupée. Depuis 15 jours V. n’a plus qu’une jambe. La longue jupe bleu marine qu’elle porte cache sa jambe. Celle qui n’est pas coupée et aussi celle qui est coupée. La jambe gauche, celle qui reste, prend toute la place. Sans cesse V. la bouge et la remue. La plie. La déplie. La secoue. La montre. La cache. L’installe comme si elles étaient deux. On dirait qu’elle a des fourmis dans la jambe. Comment ne pas voir la jambe absente? Face à V., on se sent démuni, fragile, impuissant. On est là, Trampo, et Ciboulette, face à elle. Sans pouvoir tricher, sans pouvoir parler, sans pouvoir en parler.
Trampo sort trois balles de jonglage. Nous commençons à jongler au-dessus de son lit, l’associant à notre jeu. Lui proposant, sans en avoir conscience sur-le-champ, des jeux de mains. De son lit, V. lance les balles, tâtonne, Trampo lui donne alors un cours de jonglage.
V. évoque les ateliers de cirque auxquels elle a participé, elle parle du trapèze qu’elle aime tant! Elle dit: «Je suis bonne en sport.» Sans cesse l’image de V. sur ses deux jambes, courant, sautant nous passe devant les yeux. Est-ce parce que l’amputation est récente qu’elle est insupportable? Est-ce parce que V. est une jeune fille prépubère que nous sommes si touchés? Heureusem*nt que nous avons un nez rouge et que grâce à lui nous sommes un peu protégés.
V. continue de nous parler. De tout ce qu’elle aime faire. Avant? Nous n’en faisons rien. Avons-nous quelque chose à en faire? Dans la chambre, la jambe absente prend toute la place. Mais V. est V. V. n’est pas qu’une jambe manquante. V. est une personne, qui souffre.
Nous continuons à parler. Il va falloir partir. Nous lui laissons une plume, Je l’accroche au-dessus de son lit. Nous ne réussissons pas à partir. Trampo fait un tour de magie. Nous l’apprenons à V. Ce que nous ne faisons jamais, laissant toujours intact le secret de nos tours. Puis, enfin, nous partons.

121Ce tour de magie, ce désir d’apparaître magicien aux yeux de V. n’a-t-il pas quelque chose à voir avec le désir de toute-puissance? Ce pouvoir «magique» que nous avons, capable de faire apparaître et disparaître tour à tour ce foulard, pour cette jambe disparue, comme il nous manque! Et c’est sans doute pour que V. ne nous croie pas capables d’accomplir des miracles que nous lui avons expliqué le tour, lui permettant ainsi de jouer elle-même à faire apparaître et disparaître.

122Les clowns sont des déclencheurs de jeu et des médiateurs.

123Les clowns, par leur simplicité, leur naïveté, leur facilité déconcertante à exprimer ce qu’ils ressentent, à être en empathie avec ce qui les entoure, leur façon de bousculer l’ordre établi, sont dans une grande proximité et résonance avec les enfants.

124Les clowns, par leurs interventions, portent sur l’enfant un autre regard que les soignants, ils s’adressent à l’enfant comme personne et non comme personne malade. Le personnage du clown est proche de l’enfance. Par sa naïveté, sa générosité, sa capacité à vivre le moment présent, son culot, son imaginaire, ses paroles simples et vraies. Dans les chambres bien souvent deux enfants, l’enfant et le personnage du clown, se rencontrent, se parlent, se regardent, jouent ensemble. Par le regard du clown l’enfant redevient enfant. L’enfant de ses parents. Le regard que porte le clown sur le monde transforme le monde.

125Par le rire, le rêve, la fantaisie, le jeu, les clowns aident l’enfant et sa famille à mieux supporter l’hospitalisation et le personnel soignant à vivre un moment de légèreté dans un quotidien professionnel difficile.

126La simplicité du clown, le dérisoire de ses actes, de ses projets, font de lui un artiste minimaliste. Le foulard qui disparaît, la boule de mousse qui devient cube, la bulle qui éclate, l’élastique qui saute, tous ces petit* tours qui fascinent l’enfant, sont-ils pour lui symbole de sa tumeur qui disparaît, se fait petite, meurt?

127Cet art minimum, face au risque maximum qu’est le cancer, quelle place l’enfant lui donne-t-il? Se joue-t-il pour lui autre chose que le plaisir de l’instant et/ou un moment de distraction?

128Notre présence dans la durée dans le service a permis aux soignants d’exprimer une demande nouvelle à notre intention et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à animer des journées de sensibilisation au jeu du clown de théâtre pour le personnel. Ces jours-là, nous avons quitté nos habits de clown pour prendre ceux de formateurs. Grâce à ces journées le regard que certains portaient sur les clowns a évolué, ils sont depuis devenus de vrais partenaires de jeu quand nous nous rencontrons dans les couloirs. D’autres se sont découverts des talents insoupçonnés. Ces journées ont aussi permis de développer synergie et complicité entre les soignants présents. Ils ont appris à nous connaître sur un autre mode. Ils nous ont fait confiance. Un médecin nous a dit, à l’issue d’une journée: «Nous, en tant que soignants, nous sommes dans le passé et dans le futur, entre anamnèse et désir de guérison. Vous, les clowns, vous êtes dans le présent, uniquement dans le présent. On est complémentaires.» On a compris alors qu’on avait une vraie place dans l’équipe et dans le service.

  • [*]

    Caroline Kohler, psychologue clinicienne, formatrice et clown (Le Regard du Clown), membre du cirfip.
    caroline. kohler@ libertysurf. fr

  • [1]

    Les noms de nos clowns sont: Trampo, Ciboulette, Seccotine et Pop.

Intervention de clowns auprès d'enfants hospitalisés dans un service d'oncologie pédiatrique (2024)
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